"Savoir dire nos besoins : comment organiser les réunions pour que notre parole soit entendue, reconnue, promue, valorisée au sein d’une association."
Intervention à la conférence d'ISAAC, Louvain, 2008
Stéphane Irigoyen, Fabien Sabatier,
Adhérents de l’Association des paralysés de France
Tout d’abord je tiens à vous dire notre fierté d’intervenir aujourd’hui à cette conférence. Notre groupe APF est déjà intervenu à Bruxelles, à Neuchatel, à Dijon, bref, nous sommes devenus des fidèles, et Isaac nous donne la motivation nécessaire pour promouvoir la communication alternative et augmentative au sein de l’Association des Paralysés de France, immense association.
Notre groupe existant depuis 2003 s’est constitué en « Groupe d’initiative nationale des personnes ayant des difficultés d’élocution ». Il développe un peu partout des groupes dédiés à ceux qui communiquent différemment et sensibilise l’association et le grand public.
La déclaration des personnes ayant des difficultés d’élocution a été notre première diffusion nationale (et internationale), sous forme d’affiche et de dépliant. Elle détaille précisément nos besoins d’écoute et de compréhension par, entre autres, l’aménagement de temps de silence, de vérification du propos qui est dit, d’attention aux divers moyens de communication… etc. La genèse de notre déclaration s’est faite en plusieurs réunions avec des conditions d’organisation spécifiques, avec cette qualité de reunion que nous voulons maintenant promouvoir au sein de l’APF et hors APF.
Cette déclaration vous est d’ailleurs proposée dans vos dossiers et est disponible gratuitement dans les délegations APF de France. Elle a été traduite et diffusée en Roumanie et est en cours de traduction en anglais pour Montreal
Conference Isaac internationale : www.isaac-online.org.
Comment organiser des réunions pour que la parole soit entendue, reconnue (comprise) et valorisée ? Cela devrait être le cas de toute réunion ordinaire (qu’on soit handicapé ou non d’ailleurs). Mais, bien que nous sommes souvent en réunion, nous constatons que c’est rarement le cas. C’est pourtant simple mais il faut réunir les bonnes conditions.
Par exemple, il faut un bon animateur. L’animateur n’est pas uniquement celui qui distribue rapidement la parole, avec ses yeux rivés sur la montre, afin que tous les points de l’ordre du jour soient écoulés dans le temps qui lui est imparti. Il doit aussi avoir le rôle de veiller à ce que la parole circule, soit comprise, en reformulant ce qu’un participant a dit, et éventuellement recadrer sur le sujet. L’idée qu’un animateur de la réunion se doit de reformuler pour que tout le monde comprenne ou suive, nous réconforte sur notre nécessité d’être compris. Il doit donc être attentif et être au courant des besoins de chacun (il n’est pas écrit sur le front d’une personne qu’elle est malentendante ou aphasique par ex.. !
Cependant au cours des réunions qui nous concernent où, par exemple chaque membre aurait un moyen de communication différent, et peut être des moyens de compréhension différents, l’animateur, s’il n’est pas hyper compétent proche du super héros, doit être assisté d’une ou plusieurs personnes chargées principalement de la compréhension par tous et de la répétition mot à mot (en plus de la reformulation faite par l’animateur) : un « décodeur ».
Des conseils doivent être ajoutés pour une bonne répartition de la parole : aménager des temps de silence permettant aux personnes de composer leur message si elles le souhaitent ou au contraire prévoir des possibilités de retour en arrière si elles préfèrent laisser poursuivre la réunion pendant ce temps. Certaines personnes ont un « signal » de prise de parole qu’il faut prendre en compte.
Il est nécessaire d’être au moins 2 pour animer une réunion, un des deux ayant une élocution normale. Mais alors qui prend les notes ? Il est rare qu’une personne ayant des difficultés d’élocution ait une écriture assez aisée. Si c’est le cas évidemment le problème est réglé. (On dit souvent de préparer par écrit pour une prochaine réunion mais on pense rarement à demander à ces personnes si elles ont besoin d’aide pour écrire : pensez-y.) Il faut donc une troisième personne pour prendre des notes et faire un compte-rendu.
- Pourquoi faut-il un compte-rendu ? Après tout, si le groupe provoque des rencontres régulières pour échanger sur le quotidien ne pourrait-on pas s’en passer ?
Non car le compte-rendu est d’autant plus important que la parole est difficile. Il permet de corriger ce qui aurait été mal compris Il est important de préciser en début de réunion que si des choses lues dans le compte-rendu sont erronées, on peut le corriger et se donner un temps pour en discuter. Mais au-delà de cet aspect technique, il est difficile de décrire la satisfaction et la joie que ressent une personne dont la parole s’exprime avec tant d’efforts de voir par écrit ce qu’elle a dit lors d’une réunion. C’est là une véritable valorisation de la parole. Il faut donc qu’en début de réunion un point soit fait sur le dernier compte-rendu.
Il faut aussi, particulièrement lors de la création d’un groupe, présenter les personnes et être le plus clair possible sur la manière de communiquer de chacun. Prendre en compte les accompagnateurs qui doivent assister les personnes pour le décodage. Est-ce que cela pose problème pour une réunion précise ? Ca peut arriver… Alors comment faire dans ce cas là ? Demander à l’accompagnateur de se retirer est déjà délicat ; mais le groupe a-t-il la possibilité de suppléer l’aide qu’il apporte ? Ce sont des situations lourdes à gérer mais qui doivent être discutées sans quoi une réunion prévue risque d’être perturbée. Par exemple si le thème porte sur la souffrance, la solitude, la famille, l’intimité et qu’une personne est accompagnée par un parent (ou inversement : ça arrive aussi), il est délicat de parler de ces choses devant ses proches car on peut avoir peur de dire des choses qui peuvent les blesser. Alors, on ne se sentira pas libre de s’exprimer vraiment. Le décodeur doit être neutre…
Voilà pour l’aspect technique et pratique de l’organisation d’une réunion avec des personnes utilisant la CAA.
- Pourquoi de ces groupes, disséminés en France, et leur utilité dans une association ?
D’abord pour se retrouver, se découvrir, et peut-être découvrir d’autres manières de communiquer… etc. Ensuite lorsqu’on se connaît bien, on peut faire quelque chose ensemble, où plutôt on le doit, c'est-à-dire avoir un projet. Sinon on s’ennuie et le groupe s’essouffle et se dissout. Faire quelque chose ensemble, c'est-à-dire avoir un projet, c’est donner du sens au groupe, c’est exister et donc être reconnu par les autres : non pas en tant que personne avec difficultés d’élocution mais en tant qu’adhérent participant comme les autres. Ou en tant que personne à part entière. Les exemples de projets sont variés : pièces de théâtre, exposition photos, sensibilisation des pouvoirs publics ou des professionnels de l’accompagnement, recueil de témoignages, etc…
Voilà un aperçu des bonnes pratiques pour organiser des réunions avec des personnes dont la communication est différente, pour permettre à chacun d’être entendu et reconnu au sein d’un groupe ou d’une association.
Savoir et oser dire ou demander quels sont les besoins précis des personnes pour communiquer, savoir co-animer une réunion sans hésiter à faire répéter dès que nécessaire, savoir revenir sur des propos mal compris, faire en sorte que les personnes elles même puissent librement se sentir en droit de dire leurs besoins …etc. , tout ceci constitue les bases d’une réunion réussie. Toutes ces règles et d’autres conseils seront publiés prochainement dans un guide des bonnes pratiques que le groupe national de l’APF prépare et présentera très bientôt sur le site www.apf.asso.fr, rubrique « vivre au quotidien ».
Cela parait banal, mais croyez bien que si on s’en préoccupe, c’est que ça n’est pas le cas la plupart du temps. Nous essayons simplement de balayer devant notre porte à l’APF !!!
Commentaires
Bien enfin je prend du temps pour vous répondre. Faisant parti du groupe. Je puis dire que les personnes qui ont du mal d'élocution. Ont du mal à s'exprimer même dans l'apf. J'ai remarqué combien les personnes finissent ou disent autre chose. Moi j'ai vécus une évolution dans mon handicap. Avant je parlé beaucoup moins bien. Et devenais bien timide, mais famille nombreuse étant. Ils m'ont aidé à aller plus loin. Par après j'ai rencontré de tas de groupes; social,religieux et autres et même politique. J'ai compris que il faut imposé une autorité à ce que l'ont dit. Que cela vienne de notre vie, de nos tripes. Quand les gens sentent que ce que l'ont dit sort d'un vécu, alors là il prête l'oreille. Ils font l'effort d'écouter. Angélo