« Handynamiq » de17H à 20H. Nous nous installons dans le bureau d’accueil pour le réaliser.
-Bonjour Mr C., comme tu le sais je suis en troisième année de doctorat de sociologie. Mon sujet concerne les personnes ayant des difficultés de communication. Cet entretien avec toi me permettrait de voir un type de handicap de la communication dont un handicap de la parole. Aussi, accepterais-tu que j’enregistre cet entretien afin de pouvoir le retranscrire pour ma thèse ?
-Oui
- Par ailleurs, souhaites-tu que cet entretien soit anonyme ? Dans ce cas je peux te le
garantir.
L’accord n’était pas net, je l’appellerai donc Mr C.
- Bien sûr, lors de cet entretien des aspects que je n’ai pas prévus pourrons
évidemment être abordés, mais j’ai inséré sur mon Smartphone les questions
essentielles que j’aimerais te poser.
- D’accord « OK ».
- Nous sommes tous deux membres de l’association handisport de DIVIO. Tu as été
victime d’un AVC, je crois. S’il te plaît, pourrais- tu m’expliquer ce qui t’es arrivé ?
-D’accord, d’accord : alors ça c’est passé un dimanche matin, le 19 septembre 2004. Je pense qu’il était neuf heures. Je me suis levé pour aller chez le boulanger, arrivé devant la voiture, j’ai senti qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Je suis retourné me coucher et là j’ai sans doute fait un AVC. C’est ma femme qui m’a retrouvé là, j’avais la langue tirée. Je suis devenu inconscient, ma femme a téléphoné à l’hôpital. Trois personnes , un médecin et deux infirmiers se sont occupées de moi. Elles ont constaté que j’avais fait un AVC du coté gauche puisque j’étais complètement paralysé du coté droit. J’ai dû arriver à 10H30 à l’hôpital où on m’a posé des questions auxquelles j’étais incapable de répondre. Je ne marchais plus, je ne pouvais plus parler. Je suis resté pendant huit jours à l’hôpital où je devais avoir des manques de compréhension. De là ils m’ont envoyé à DIVIO où je suis resté trois mois au deuxième étage 24h/ 24
- Tu t’es couché le soir, ce fut une surprise ce qu’il t’est arrivé ?
-Le samedi ? Non-non-non parce que le matin j’ai corrigé des copies, l’après-midi j’ai travaillé dans le jardin, il faisait très beau.
- Je t’ai récemment entendu dire que tu avais perdu des capacités avec cet AVC. S’il te plaît pourrais- tu nous présenter ces différentes pertes de la parole, du physique ?
-Je crois avoir commencé à parler après un an, j’ai été pris en main par un orthophoniste. Il a fallu cinq ans pour que je réapprenne à parler-compter. Moi qui étais prof de math, je ne savais plus rien 0- 1- 2 et incapable de parler. Je ne savais plus rien, j’ai appris les opérations : comment on faisait pour additionner, multiplier, diviser.
- Avais-tu des souvenirs de jeunesse ?
-Non ça je n’ai pas perdu, c’était juste la perte d’apprentissage. J’ai dû apprendre de nouveau les règles de grammaire. La question que je me pose actuellement est : est-ce dû à l’AVC ou bien est-ce dû à l’âge ? A soixante-dix ans je perds un peu la mémoire. L’inconvénient est que lorsque je parle, je sais ce que je dois dire mais suis incapable de le formuler : ça ne vient pas.
- Je crois que tu n’aimes pas parler en public, peux-tu expliquer pourquoi ?
-Tout simplement parce que j’ai peur d’ennuyer les gens. Par exemple, je n’aime pas aller chez le boulanger, le boucher parce que je vais demander du pain, mais quel pain et là je n’arrive pas à formuler la sorte de pain que je voudrais.
Autre exemple, lorsque j’étais à DIVIO mon père venait tous les après-midi me voir. Je n’étais pas content qu’il passe autant de temps à venir me voir. Je pensais que c’était une erreur de sa part de venir me voir. Ma femme venait me voir très souvent, mais ce n’était pas la même chose.
- Tu penses ne pas parler assez rapidement ?
-Oui, c’est ça.
- Les gens associent l’élocution lente à une pensée lente !
-Oui, sans doute, mais si tu veux j’étais en fin de carrière, il me manquait deux ans pour avoir droit à la retraite. Je travaillais à Dijon, j’avais également un boulot en fac de Lyon concernant d’Alembert et tous ses potes mathématiciens. J’avais débuté une thèse sur Mr Fontaine et au milieu cet AVC est arrivé.
- Est-ce qu’avec le temps tu récupères des capacités physiques, des mots ?
Au début de DIVIO je descendais avec l’ascenseur, à la fin je prenais les escaliers, donc ça va mieux. Autre preuve : lorsque l’AVC s’est produit je n ‘avais pas de chien. C’est l’orthophoniste qui m’a dit d’en avoir un. Certes il est âgé, mais nous allons chaque jour nous balader le long du canal, ce qui me permet de sortir de chez moi. J’avais un vélo, maintenant je ne monte plus dessus, car j’ai peur de tomber. Effectivement, des choses ne fonctionnent plus. Je me souviens, dans le Jura mon beau-père avait une maison de campagne à côté de Morbier. Nous sommes allés dans les bois nous promener avec mon chien, je me suis perdu. J’ai dû demander à une dame qu’elle appelle ma femme : j’étais perdu – Je vais te dire : moi non plus, je ne fais plus de vélo (rires).
-Est-ce que j’ai répondu à toutes tes questions ?
- MERCI beaucoup C. pour cet entretien que tu m’as accordé.