Entretien du 29/ 04/ 2015 du docteur Brigitte Lucas au Centre de Rééducation Fonctionnelle : C. R. F de DIVIO à Saint Anne DIJON.

 Entretien qui se déroula dans son bureau à l’étage moins un du centre.

 

 - Madame  le docteur  Brigitte Lucas, comme vous le savez je suis en troisième année de doctorat de sociologie. Mon sujet concerne les personnes ayant  des difficultés de communication. Cet entretien avec vous revêt pour moi une grande importance car vous êtes une praticienne très expérimentée. Aussi, accepteriez-vous que j’enregistre cet entretien afin de pouvoir le retranscrire pour ma thèse ?

Accord avec le pouce « Pourquoi très expérimentée ? » Je souris, elle en fait de même.

- Par ailleurs, souhaitez-vous que cet entretien soit anonyme ? Dans ce cas je peux vous le garantir mais je préférerais, comme vous pouvez vous en douter, vous citer pour la raison que j’ai indiquée précédemment.

Tout à fait d’accord pour que ce ne soit pas anonyme. Je suis un médecin de MPR : Médecine Physique et Réadaptation suivant des personnes victimes de lésions cérébrales. Des lésions acquises à l’âge adulte. Je n’ai pas d’expérience avec les enfants, avec lesquels l’acquisition du langage est  différente. Je vous expliquerai mon expérience, qui est simple, ce qui répondra peut-être à certaines de vos attentes.

- Evidemment, lors de cet entretien des aspects  que je n’ai pas prévus  pourront être abordés, mais j’ai inséré sur mon Smartphone les questions essentielles que j’aimerais vous poser.

D’accord.

- Avant tout, je vous demanderai de vous présenter : qu’est ce qui vous a amené à vous impliquer dans la rééducation fonctionnelle ? Je crois que vous étiez interne lorsque j’étais à Divio. S’il vous plaît présentez-moi votre parcours en médecine.

Alors vous voulez tout savoir (rires). J’ai commencé mes études de médecine à vingt six ans, car avant j’étais infirmière en réanimation, j’ai eu envie d’en savoir plus. J’aimais beaucoup mon métier, j’avais le sentiment que je pouvais peut être en apprendre plus. C’est comme ça que je me suis inscrite en première année de médecine, j’ai eu le concours. Dans mon parcours j’ai décidé de m’inscrire au concours d’internat de spécialités, j’ai été reçue. Mon premier stage était au Service de Rééducation Fonctionnelle du CHU, le CCR avec le professeur Didier. J’ai beaucoup apprécié l’approche qui est faite dans cette spécialité. Il y a un regard global de la personne, ce n’est pas une spécialité s’intéressant à un organe : un pied, le foie, le cœur. Il faut s’intéresser à la personne dans le cadre de sa santé  ,de  son mode de vie. Le projet de la personne est de sortir de l’hôpital, afin de retourner dans sa vie, ça m’avait beaucoup plu. Ensuite, je suis allée en rhumatologie puis en neurologie pour retourner en rééducation fonctionnelle. Je me suis aperçue que j’aimais beaucoup les soins apportés aux souffrants de problèmes neurologiques. Dans notre spécialité très large, très vaste j’ai décidé de travailler la rééducation neurologique. C’est comme ça, lors d’un de mes stages que nous nous sommes rencontrés. Mon projet professionnel était d’être médecin en rééducation.      

- C’était dans l’idée que la personne retrouve son autonomie ?

            L’idée de la rééducation « OUI », cette spécialité essaie de permettre à la personne de récupérer des capacités après une lésion neurologique soit cérébrale soit médulaire. Le rôle de la rééducation est de voir si elle a  des possibilités, des capacités de récupération. Si elle ne le peut pas, nous allons chercher à trouver les adaptations. C’est ça ce qui est nommé la réadaptation. On va lui proposer tous les moyens pour qu’elle soit autonome, en lui proposant des aides techniques, en adaptant son environnement. Plus les fonctions lésées seront actives, plus on obtiendra de résultats. En sachant qu’il existe des limites, l’objectif de cette spécialité arrivant après les autres est de permettre à la personne de retrouver une autonomie, une autre manière de vivre pour s’engager dans une autre vie. C’est un challenge, j’ai trouvé ça très important.

- Vous êtes actuellement Dr rééducatrice au C. R. F de Divio à (St Anne. ?DIJON Vous recevez des personnes victimes d’accident, d’AVC, des aphasiques . Comment arrivez-vous à déterminer si un patient a une perturbation du langage ou une perturbation de la compréhension du langage ?

Alors on sait déjà, sur le plan de l’anatomie qu’il y a certaines régions du cerveau qui vont retentir sur le langage. Si on est droitier, on sait que l’hémisphère gauche est le siège du langage. On sait que les hémiplégies droites, des AVC de série hémisphériques gauche vont être à l’origine de troubles de langage, ça c’est dans le cadre de l’AVC. Après pour savoir si ce trouble est plus un problème de compréhension ou d’expression on va finalement poser des questions pour voir si la personne trouve ses mots, ou si elle a des troubles de la compréhension en posant des questions ou complexes par des phrases simples ou complexes. Il y a également des personnes qui comprennent, mais si la phrase est trop longue, elles perdent le fil, elles ne comprennent plus très bien, là on est sur la compréhension. Concernant l’expression, on va faire nommer des choses : test de d’énonciation cartes de « mémory ». Nous allons également faire lire, car le langage c’est l’oral et l’écrit. Ensuite nous confierons l’examen plus poussé à l’orthophoniste, celui-ci fera un bilan. Ce paragraphe est pour l’atteinte vasculaire. Chez la personne victime d’un traumatisme crânien grave, il va y avoir des lésions cérébrales graves qui peuvent toucher plusieurs endroits, rendant impossible le bon déroulement de la sortie des mots. Il peut y avoir une perte des mots, ainsi qu’une perte de la logique, une perte de l’informativité, ou une perte de l’accès au second degré. Toute cette richesse de la communication va pouvoir être travaillée par les orthophonistes. Des personnes vont avoir des lésions aux organes propres à la phonation . C’est-à-dire qu’au niveau cérébral elles ont tout ce qu’il faut pour pouvoir produire des mots. Elles ont leur esprit pour comprendre ce qui leur est dit, mais elles ne peuvent pas mobiliser les organes de la phonation pour vocaliser et exprimer le mot. C’est souvent lorsque les lésions se trouvent au niveau du tronc cérébral. Il y a souvent liés des troubles de la déglutition parce qu’on est sur les mêmes organes. Dans ce cas là, on ne va pas parler d’aphasie : le lexique est présent, la mémoire pour y accéder est présente, mais on sera sur une paralysie de la phonation. Il y aura pour certaines personnes la possibilité d’articuler les mots mais ça ne sera pas clair : on parlera de dysarthrie. Communiquer, c’est le langage, tout ce que nous avons appris avec les codes, l’éducation. C’est également l’anatomie le langage corporel. Il y a également la communication non-verbale, gestuelle, animée par des gestes. Il y a également des personnes qui ont du mal à s’exprimer gestuellement ; il leur est difficile de mimer, de trouver des moyens de s’exprimer autrement.

- Comment faites-vous avec les personnes qui ne communiquent pas du tout ?

Avec les personnes aphasiques ? Je lève le pouce pour dire « OUI ». Je dis en rigolant que je sais parler aphasique (sourire puis rire). C’est parfois très compliqué, l’orthophoniste suivant la personne peut donner des pistes. Nous employons des phases courtes, des mots qui ont une signification simple. J’essaie également de mimer, on se rend également compte que la famille très proche (femme ou époux) a parfois plus de capacités à comprendre que nous. C’est vrai que c’est une difficulté à comprendre. Parfois il nous faut être plusieurs pour réussir à comprendre ce que la personne veut faire passer ou ce que nous voulons lui faire passer. Parce que nous parlons correctement, mais ce n’est pas reçu par la personne qui parfois ne comprend pas ce qu’on lui dit, ça peut donc être très difficile. Il faut de la patience. Grâce au travail de l’orthophoniste nous pouvons mettre en place des petits moyens pour faciliter la communication, ce n’est pas toujours simple à mettre en place. Au départ, on essaie d’avoir un OUI- NON fiable, c’est la base de toute communication, comme cela nous pouvons poser des questions fermées : avez-vous faim ? Avez-vous mal ? Avez-vous besoin de l’infirmière ? On essaie d’acquérir un « OUI-NON » fiable, ce qui n’est pas toujours possible. Quand il est mis en place, par le travail de l’orthophoniste, nous pouvons déjà communiquer quelque-chose.

- Pensez-vous que c’est une souffrance pour la personne de voir qu’elle ne se fait pas comprendre?

OUI c’est une souffrance, Parfois soit les personnes vont se mettre en colère. Elles pensent s’exprimer correctement quand elles parlent, mais les mots qu’elles disent ne sont pas les mots qu’elles souhaitent dire disent. On ne la comprend donc pas, ce qui va l’énerver, ou bien elle voudrait dire des choses, mais les mots ne viennent pas. OUI c’est une souffrance, c’en est une, je pense également pour l’entourage qui aimerait tellement que ça aille bien, qui aimerait tout faire pour aider, qui est parfois impuissante. Elle se sent parfois mise en difficulté. Les réactions vis-à-vis de cette aphasie pour le patient ? Soit une dépression peut en découler, soit une colère, une irritabilité ou une lassitude en orthophonie lorsque la personne se rend compte que ça ne progresse pas assez. Après, je remarque qu’avec le temps les personnes réussissent à s’adapter. Ce n’est pas une question d’acceptation, c’est qu’elles s’adaptent. Si elles se sentent rassurées : en hospitalisation, elles ont le sentiment de ne pas être mise en danger. Parce que ne pas pouvoir communiquer c’est angoissant : de ne pas dire lorsqu’on a mal, c’est terrible. Il faut donc qu’elles se sentent en sécurité, comprises ce qui leur permet de s’adapter puis petit-à-petit la communication réussit à s’établir. C’est ce qui se passe lorsque la personne arrive en rééducation, il y a l’orthophonie qui est un élément essentiel puis la personne finit par s’adapter. Elle se met en route pour améliorer ses capacités, la famille se rassure également avec le temps.

- C’est une question d’adaptation ?

OUI je fais attention à ce mot parce qu’on dit souvent qu’il y a  une acceptation, je ne crois pas qu’on accepte cet état ; s’ils pouvaient ils enverraient tout balader (rires). Ils sont obligés de faire avec, donc ils s’adaptent en essayant de trouver des solutions pour se faire comprendre. Après, je pense que c’est propre à chacun, à ses propres ressources  c’est propre aux ressources. Comme un jeune ou un moins jeune se retrouvant en fauteuil roulant est bien obligé de continuer en fauteuil roulant, il doit donc s’adapter à cette situation. C’est pour cela que j’ai employé ce terme, il faut en être conscient : ce n’est pas rien.

            - Par exemple, moi je ne peux dire « avoir accepté », mais « bien obligé on s’adapte ».

C’est vrai Gautier, c’est ce que je pense également. OUI c’est tout le travail de la rééducation ou de la médecine physique et de réadaptation. Permettant de récupérer, au meilleur possible, puis lorsqu’on s’aperçoit qu’il n’est plus possible d’aller au delà d’un certain niveau , de permettre l’adaptation par les aides techniques, l’environnement. Je pense que la personne s’adapte, mais également son entourage s’adapte. Au début c’est difficile, puis forcement cela se met en place. Le temps est important, il permet tout ce travail, ce n’est pas en quelques mois que cela se fait. 

- Plusieurs d’années ?

Je ne peux pas parler à la place des personnes, oui probablement. Je crois qu’à la fin du séjour en service de rééducation dans les suites de l’accident ou de la maladie, lors du retour au domicile c’est un autre « parcours du combattant » qui s’ouvre. C’est pour ça que c’est intéressant de pouvoir suivre les personnes en consultation, de proposer de nouveaux séjours en rééducation , car avec le temps, avec la confrontation à la vie quotidienne , à la vraie vie, pas celle de l’hôpital, il y aura peut être de nouvelles demandes qui apparaîtront. Une nouvelle motivation s’installant, c’est important de ne pas perdre de vue les personnes. Je crois également qu’il faut bien faire la part des choses entre les AVC, les TC, d’autres lésions sur d’autres maladies. Il faut vraiment personnaliser le suivi, parce que les choses sont différentes pour chaque cas. 

 

 

- A la suite d’un accident ou d’un AVC certains de vos patients ne peuvent pas s’exprimer oralement. Dans mon cas, on m’avait, dans un premier temps   proposé  pour m’exprimer un tableau de lettres que je devais montrer une à une pour faire une phrase puis on m’a proposé un synthétiseur vocal. Est-ce aujourd’hui devenu une proposition fréquente ?

Alors là ça dépend des cas, Gautier, le travail initial de l’orthophoniste est de faire l’état de la personne : capacité en expression, compréhension, vocalisation. Pour ensuite chercher à voir si le langage écrit est préservé. La phonétique, tout le monde n’y a pas accès, cela peut dépendre de l’âge de la personne, de son éducation. On essaie de trouver l’outil convenant le mieux.

            Allant voir ma sœur après cet entretien je montre à Mme Lucas mon vieil appareil, le SYNTE IV phonétique, auquel les membres de ma famille sont très habitués

.           Ah oui bien sûr, c’est historique, mais c’était quand même génial, surtout vous y étiez extrêmement bien adapté, mais est-ce-que tout le monde à vos capacités ? C’est pour ça que c’est très personnalisé !

  -Les  personnes qui ont pris l’habitude de cette voix ne comprennent pas la voix beaucoup plus belle et fluide du smartphone.

            OUI vous voulez dire que dès que l’on s’est habitué à une voix, il est très difficile d’en entendre une autre. OUI je pense que nous avons eu de nombreuses personnes qui étaient dans l’incapacité de produire des sons, auxquels nous avons proposé différents moyens de communication, ça n’a pas toujours réussi. Je pense qu’il y a cette étape à franchir où la voix qui est produite, forcement ce n’est pas notre voix , il faut déjà accepter ça. Ensuite, le temps d’utiliser les touches, de faire dire ce que l’on a à dire, il faut que l’interlocuteur soit patient et attende. C’est tout une autre manière de faire, de communiquer qui n’est pas si évidente que cela. Je pense également que c’est lié à l’âge : j’ai en souvenir deux personnes dans la cinquantaine, une a préféré utiliser l’écrit, une autre a préféré rester mutique plutôt que d’utiliser une synthèse vocale. C’est donc propre à chacun.

 

  

 

- OUI mais, alors là, il ne pouvait pas communiquer avec d’autres personnes que sa famille ?

            OUI, alors il est tout de même allé faire des activités dans des associations. Lorsqu’il venait en consultation, il pouvait exprimer un sourire : avoir une communication non-verbale. Je pense que c’était sa manière à lui d’être, on ne peut pas forcer la main. Par contre, c’est à nous de présenter les possibilités d’adapter les systèmes, les systèmes vocaux, des petits appareils afin que la personne soit informée. Ensuite c’est à la personne de faire son choix, c’est elle qui l’utilisera au quotidien. Il y a peu d’entreprises prestataires d’appareils, il est donc très difficile d’avoir des appareils à l’essai. On essaie, tout de même, d’en avoir à l’essai que la personne puisse faire son choix. Après, avec l’amélioration des nouvelles technologies, la numérisation il y a des logiciels qui facilitent la vie, il est vrai que les choses sont facilitées. Malgré tout, Gautier une personne qui a des troubles du langage , qui est  aphasique, elle va être en difficulté pour utiliser une synthèse vocale. Pour pouvoir le faire, il faut avoir une intégrité des zones du langage.         

- Dans quelle mesure la révolution technologique (ordinateurs, synthétiseurs vocaux, smartphones….etc) a-t-elle à votre avis permis une meilleure intégration dans la société des personnes ayant des difficultés de communication ?

Nous sommes de plus-en-plus familiers avec les ordinateurs, tablettes, téléphones portables. La miniaturisation a rendu la présentation plus simple, les gros appareils sur fauteuil-roulants la rendait compliquée. Le fait de cette miniaturisation, plus le fait que tout le monde en utilise pour se faciliter la vie rend l’intégration des personnes en situation de handicap plus simple.

- Ça existe toujours les grosses synthèses vocales !

OUI bien sûr !

- Je pense que tout le monde ne peut pas utiliser de smartphone.

OUI, ça c’est vrai, je suis d’accord avec vous. C’est ce que je vous disais tout à l’heure. Il faut que l’on sache explorer et évaluer  les capacités de la personne, un smartphone ce n’est pas toujours facile à faire fonctionner. Tout ça est donc lié à l’âge, la génération, aux habitudes et aux capacités fonctionnelles qui sont mises à jour dans la rééducation. Il est vrai qu’il est assez complexe de pouvoir s’exprimer via un système de synthèse vocale avec lequel vous devez pouvoir parler. Cette synthèse vocale doit traduire votre parole. Cela veut donc dire que vous êtes capable d’exprimer quelque chose avec votre parole, ça n’est pas simple. Il y a des personnes Locked In Syndrome qui vont utiliser d’autres systèmes : les trackers ou à commandes oculaire, frontale. Toutes ces évolutions facilitent la communication. C’est une bonne chose, les aides techniques sont devenues plus accessibles.

- Madame Lucas, je vous remercie grandement pour cet entretien que vous m’avez accordé.   

 

 

 

 

 

Les commentaires sont fermés.