Entretien du 30/ 4/ 2015 avec Mr Joël Cluzel, se déroulant dans son bureau au sous-sol du Centre de Convalescence et de Rééducation (CCR) du bocage de Dijon (CHU).

 

- Monsieur  le docteur Joël Cluzel, comme vous le savez je suis en troisième année de doctorat de sociologie. Mon sujet concerne les personnes ayant des difficultés de communication. Cet entretien avec vous revêt pour moi une grande importance. Aussi, accepteriez-vous que j’enregistre cet entretien afin de pouvoir le retranscrire pour ma thèse ?

D’accord.

- Par ailleurs, souhaitez-vous que cet entretien soit anonyme ? Dans ce cas je peux vous le garantir mais je préférerais, comme vous pouvez vous en douter, vous citer tant, comme  ergothérapeute vous avez eu de l’importance pour moi lors de ma rééducation.

Pas besoin d’être anonyme, tu peux citer mon nom sans problème. Je ne me souviens plus en quelle année tu es arrivé, rappelle la moi s’il te plaît. Car à l’époque étais-je déjà ergo ou cadre? «  1995 ». 1995 j’étais déjà cadre, mais je n’étais pas docteur. Je t’expliquerai ensuite, j’attends que vienne la question, je reprendrai tout ça avec toi.

            Pourtant vous me faisiez travailler là haut : au rez-de-chaussée (étage de l’ergothérapie).

            Attends, je t’explique j’ai été à l’école de cadre jusqu’en 1991. Je suis revenu en 1992. En 1992 j’étais à l’époque « moniteur-cadre-ergothérapeute » , j’étais donc cadre de santé, mais j’avais tout de même des fonctions d’ergothérapeute. C’est pour cela que je t’ai fait travailler, mais mon statut était celui de « moniteur-cadre-ergothérapeute ». Ensuite en 1995 les études de cadre ont été réformées et nous sommes devenus les « cadres de santé » des « cadres de santé kinésithérapeute », « cadres de santé ergothérapeute ». A l’époque, en 1995, lorsque je t’ai pris en charge j’avais déjà ce statut, mais je t’ai pris en charge parce qu’à la base j’étais ergothérapeute. 

 

 Evidemment, lors de cet entretien des aspects que je n’ai pas prévus  pourront être abordés, mais j’ai inséré sur mon Smartphone les questions essentielles que j’aimerais vous poser.

OK.

 

Avant tout, je vous demanderai de vous présenter : qu’est ce qui vous a amené à vous impliquer dans la rééducation fonctionnelle  comme ergothérapeute tout d’abord? Vous avez été mon ergothérapeute, puis êtes devenu docteur en rééducation. S’il vous plaît présentez-moi votre parcours dans l’univers paramédical puis médical.

OK Gautier, comme je te le disais j’ai commencé mes études non pas par l‘apprentissage du métier d’ergothérapeute, mais j’ai fait des études d’un autre métier celui de  « manipulateur d’électroradiologie », métier paramédical consistant à faire passer aux patients des radios : 1980 voyait l’apparition du scanner. Au cours de cette formation, il y avait des stages à réaliser. C’est lors d’un de ces stages que j’ai découvert le métier d’ergothérapeute. Dans le service de rhumatologie dans lequel j’étais en stage, j’ai côtoyé des ergothérapeutes. Je me suis dis là : « qu’est ce que c’est que cette bestiole là ? Voilà quelque chose qui est intéressant : on évalue les patients, dans un premier temps on essaie de les rééduquer , de leur faire retrouver une fonction motrice ou cognitive au maximum. Pour ensuite changer de casquette, et devenir ré- adaptateur ce qui est pour moi : faire avec ce qui reste. J’ai découvert là des patients qui étaient atteints de pathologies rhumatismales, étant  dans l’incapacité de produire des actes simples, quotidiens tels que découper un aliment, manger, se coiffer, s’habiller. C’est alors que je me suis dit : « quelle est la place de l’ergothérapeute là dedans ?  . Je me suis aperçu que cette place était très importante. C’est un métier ingénieux : chercher à faire récupérer à son patient le plus possible, dans  sa vie personnelle, dans  sa vie professionnelle, dans  sa vie de loisirs et essayer de lui permettre de vivre le mieux possible .S’il est impossible de lui faire récupérer entièrement ses capacités antérieurs, il y toujours moyen de se débrouiller. C’est ce côté réadaptation qui m’a attiré, je me souviendrai toujours de cette patiente âgée qui, comme toi Gautier, lors de ton arrivée ici, n’arrivait pas à parler. Elle communiquait avec son ergothérapeute avec un tableau de lettres : un abécédaire. Je me suis dit : « c’est tout bête et grâce à cela cette personne peut se faire comprendre ! ». Après avoir terminé mes études de « manipulateur d’électroradiologie, j’ai décidé volontairement de ne pas exercer et de passer le concours d’ergothérapeute. J’ai donc intégré une école d’ergothérapie au sud de la France, à Montpellier ; il y avait à l’époque huit écoles d’ergothérapie en France, maintenant il y en a une vingtaine, ça montre bien l’évolution. Je me suis ensuite dis : « tu es ergothérapeute, il faut trouver du travail ». J’ai donc pris une carte de France, j’ai tiré un trait en me disant «  au dessus de Valence, pas question (rires) ! Pour moi c’est le nord. A l’époque, on me proposait uniquement des remplacements : des missions très courtes. Il fallait étendre mon champ d’action. C’est pour ça que, contraint et forcé, j’ai été obligé de dépasser la barrière de Valence (rires) et de venir dans le grand nord où j’ai atterri à Dijon. Je suis arrivé sur Dijon, pour la simple et bonne raison que l’on m’y a proposé un poste. Un poste particulier, celui d’ergothérapeute en milieu carcéral. Avant d’être ici, j’ai été ergothérapeute à la prison de Dijon. J’ai été employé à l’hôpital psychiatrique de la « Chartreuse ». J’étais détaché pour travailler en milieu carcéral : rue d’Auxonne. J’ai été le deuxième ergothérapeute en France à monter un service d’ergothérapie au sein d’une maison d’arrêt. Ce que j’ai essayé de faire tant bien que mal en sortant du diplôme, j’ai essayé de leur  proposer une activité thérapeutique. Fort de cette expérience, j’ai demandé une mutation. Lorsqu’un poste s’est présenté au CHU de Dijon, je l’ai intégré. De 1985 à 1988 la prison, mars 1988 j’ai intégré le CHU c’est le docteurDidier qui parmi les X candidats m’a choisi pour mettre en place une activité d’ergothérapie. Grâce à lui j’ai pu intégrer l’équipe de rééducation, débuter mes missions d’ergothérapeute.  Ensuite, en 1991, le docteur Didier souhaitant développer l’activité d’ergothérapie il m’a été proposé de partir en formation à l’école de cadres. A l’époque il y avait deux écoles de cadres, Nancy et Montpellier. J’ai choisi Nancy, puisque j’habitais Dijon, encore plus le Nord (rires) ! J’y suis donc parti un an, je me suis fait remplacer par l’ergothérapeute « Nathalie » que tu connais ; je suis revenu le diplôme en poche en 1992. Non pas avec un diplôme de docteur, comme tu le dis, mais avec celui de « moniteur-cadre-ergothérapeute ». Ensuite j’ai fait mon petit bonhomme de chemin, j’ai développé l’activité d’ergothérapie au CHU de Dijon puisque lorsque je l’ai intégré en 1988, il n’y avait qu’un ergothérapeute, maintenant il y en a une douzaine, à force de travail en essayant de convaincre du bien-fondé de cette activité. Les médecins, dont le docteur Didier ont permis le développement de cette activité au sein du CHU. Depuis, j’ai développé cette activité, petit à petit. J’ai pris de la distance par rapport à l’activité de terrain en tant qu’ergothérapeute puisque dans un premier temps il m’a été demandé d’encadrer les paramédicaux-ergothérapeutes en tant que cadre de santé, puis ensuite avec les réformes X-Y-Z dans la fonction publique hospitalière il ma été demandé de chapoter des équipes de rééducation composées de différents rééducateurs : kinés- orthos- ergos- neuropsychologues. Au jour d’aujourd’hui, je suis donc responsable de deux grosses équipes de rééducation :  une sur le centre de rééducation (kinés, ergothérapeutes, orthophonistes) une sur le centre gériatrique de Champmaillot (ensemble des collègues de rééducation). Ma mission, comme on dit aujourd’hui, est une mission de « management » (rires). Je ne suis plus sur le terrain, encore de temps en temps je m’occupe d’appareillage. Voilà un petit peu mon parcours au jour d’aujourd’hui. Ensuite, j’ai repris mes études, pris mon bâton de pélerin, comme toi Gautier. J’ai intégré l’université : un grand moment, car pour moi qui n’y suis jamais allé. Ce moment fut important, tout d’abord ce fut un moment d’avoir des connaissances supplémentaires et pour constater le « grand foutoir ». Après avoir validé le « MASTER 1 », j’ai intégré un « MASTER 2 professionnel » intitulé « management et évaluation des organisations de santé » c’était donc sur l’économie de la santé. Ce qui m’a permis de mieux comprendre le système hospitalier, son coté médico-économique, les enjeux économiques pour les hôpitaux: cette tarification à l’activité. Chose qui m’était inconnue, je suis d’une génération pour laquelle le patient était le centre. Il l’est toujours, mais fagocité par toutes ces traçabilités. Gautier, je pense avoir répondu à ta question ; je ne suis donc pas docteur, je suis l’ergothérapeute qui t’a aidé.

 

 

Dans le cadre du C. C. R. vous recevez des personnes victimes d’accident, d’AVC, des aphasiques. Comment arrivez-vous à déterminer si un patient a une perturbation du langage ou une perturbation de la compréhension du langage ?

Il est vrai que comme tu le dis au Centre de Rééducation nous accueillons des patients lourdement handicapés. Dans le secteur neurologique nous accueillons des personnes ayant des problèmes de langage. Ces problèmes de langage nous les découvrons petit à petit. Nous les découvrons pour certains traumatisés crâniens lorsqu’ils sont en période de « réveil de coma », c’est un travail d’équipe. Tu l’as vécu, tous autour du patient avec chacun ses missions. C’est grâce à ces missions d’évaluation - kinésithérapie, ergothérapie, orthophonie, psychothérapie, infirmières, aides-soignantes et le côté médical- que nous tentons de savoir d’où proviennent ces problèmes de langage. Nous sommes aidés par le corps médical afin d’essayer de trouver quelle en est la cause. Ces problèmes de langage, nous allons les prendre en charge chacun avec ses spécificités en tant que rééducateurs, tous unis autour du patient, pour essayer d’évaluer ces problèmes là, grâce à des bilans spécifiques qui vont nous permettre de dire : «  oui, cette personne comprend ce que je lui dis, mais n’arrive pas à s’exprimer » ; « oui, cette personne ne comprend pas, par contre elle n’a aucun souci pour s’exprimer » ou bien « cette personne comprend, n’arrive pas à s’exprimer, car quelque chose est cassé : cordes vocales ou autres ont été endommagées »  Je reprends toujours ton exemple, ce fut un travail de longue haleine, mais petit à petit nous avons, grâce à toute cette équipe, à ta famille, pu  trouver d’où venait ton problème. Et petit à petit, en essayant de te proposer quelque chose, nous avons réussi à communiquer avec toi..  Voilà ce que je peux dire concernant les problèmes de langage. C’est une évaluation commune permettant de savoir où l’on va, les choses à propose comme rééducation ou adaptation aux problèmes liés au langage. Comme je te l’ai dit par rapport à un problème de compréhension, d’expression.          

Lorsque le problème de compréhension est présent trouvez-vous des solutions ?

On essaie de trouver des solutions, ça peut passer par des tableaux sur lesquels sont proposées des images. Nous demandons au patient de nous montrer l’image. Parfois la communication est difficile , les patients sont mutiques et ne comprennent pas non plus. Nous proposons des codes simples : le OUI-NON avec les yeux. Des codes non-verbaux peuvent se mettre en place, c’est à la condition que les personnes comprennent.  Aves les personnes ayant des « aphasies de compréhension », il est très difficile d’entrer en contact avec eux. C’est ce qui m’a plu dans ce métier, c’est de chercher des solutions, tout patient à sa spécificité et en plus quand il s’appelle Gautier (rires) !. C’est ce qui fait la grandeur de mon métier d’origine, ce n’est jamais pareil : un Gautier 1 n’est pas pareil qu’un Gautier 2. Dans sa prise en charge il est également unique, c’est ce qui m’a également énormément attiré dans ce métier là. Je ne dis pas que nous trouvons des solutions pour chaque cas, mais nous essayons d’en trouver. Grâce également à l’entourage, nous essayons de rentrer en contact avec le patient, de faire des déclics. Je me rappelle d’avoir interpellé tes parents : «  qu’est ce qu’aimait, faisait Gautier ? » Pour essayer de voir comment de jour en jour te permettre de te réveiller, de pouvoir t’exprimer.

Justement, il y a des personnes qui se font comprendre uniquement de leur entourage proche, personnellement je ne vois pas l’intérêt de se faire uniquement comprendre par ses proches. Tu n’as pas de communication avec l’extérieur.

     OUI, oui si tu veux des fois c’est normal que tu répondes plus facilement, tu arrives à te faire comprendre de tes proches, parce que ce sont tes proches , ils te connaissent bien. Ce sont souvent les proches qui nous disent : « il a pu me dire ça ». C’est grâce à l’équipe avec l’association des proches que l’on va pouvoir creuser dans cette communication. Dans un premier temps, il faut favoriser le fait que le patient communique avec sa famille. C’est vrai que très vite il va falloir l’amener à s’ouvrir. C’est un exercice qui se fait avec le patient, qui se fait grâce à l’entourage. Ce travail est très important, je me souviens d’avoir demandé à tes parents de m’apporter des images, des photos d’activités que tu aimais faire, que je te les montre. Je me rappelle de t’avoir montré des images de magazines, catalogues afin d’essayer de rentrer en contact avec toi. Ce n’est pas donné à tout le monde, car souvent il y a une souffrance intérieure. On arrive à la détecter, car souvent les patients sont déprimés. Il est difficile d’entrer en contact avec eux. Il faut une force telle que la tienne pour arriver à s’exprimer, à vouloir communiquer. La chance que nous avons eue, à ton époque c’est d’avoir connu, grâce à Protéor, l’existence de synthétiseurs vocaux. Je te l’ai toujours dit, c’est l’activité la plus marquante de mon activité professionnelle. Je me souviendrai toute ma vie ce que tu as vécu, ce que tu as fait vivre aux autres le jour où tu as découvert cet appareil, en présence de tes parents, de ta jeune sœur et de ton petit frère. Au début tes parents n étaient pas favorables à cet appareil là, mais je les comprends. Il a fallu les convaincre de l’utilité d’essayer cet appareil là ; on ne savait pas si tu récupérerais la parole. Pour moi ce fut un moment de ma vie très enclin à des émotions, la première fois où tu as parlé à ton petit frère. Rappelle-toi, tu ne voulais pas le rendre aux personnes de Protéor. Il est vrai que c’est également cela qui m’a attiré dans ce métier créatif, dans lequel je me suis dit « tu peux servir à quelque chose ! »       

SUPER Joël, t’inquiète je me rappelle également de cette journée.

C’est un moment qui a marqué ma vie professionnelle, je le donne souvent comme exemple  « être proche des patients ». Pour moi le handicap n’est pas un problème , chacun s’exprime comme il peut avec ce qu’il veut. Il s’exprime, il parle ou il ne parle pas ; ce n’est pas un problème.

 

 

A la suite d’un accident ou d’un AVC certains de vos patients ne peuvent pas s’exprimer oralement. Dans mon cas, on m’avait proposé pour m’exprimer un tableau de lettres que je devais montrer une à une pour faire une phrase puis ,pour m’exprimer oralement vous m’avez présenté un synthétiseur vocal. Est –ce aujourd’hui devenu une proposition fréquente ?

Je dirai que malheureusement non, il y a plusieurs raisons à cela. La première des choses que dirais : depuis que tu as eu ton accident, la prévention routière a fait beaucoup de progrès, permettant de diminuer le nombre d’accidents graves avec séquelles graves. Je travaille depuis de nombreuses années,  c’est quelque chose que l’on peut constater. A mon sens, les accidents dramatiques sont moins fréquents. Il m’est arrivé plusieurs fois d’essayer de proposer une aide technique à la communication, tel un synthétiseur. Je n’ai jamais eu le succès que j’ai eu avec toi. J’en ai eu plusieurs, mais ça se compte sur les doigts d’une main. Depuis 1995, ça ne fait donc pas beaucoup, plusieurs raisons à cela. Raisons médicales, faisant que la situation est différente. Il y a des raisons liées à l’âge des patients, l’apprentissage de nouvelles technologies est plus aisé pour des personnes jeunes que pour des personnes âgées. Liées également à la volonté du patient d’utiliser une machine pour se faire comprendre, des personnes préfèrent montrer du doigt, pour certains cela suffit. Pour d’autres l’appareil est trop compliqué, d’autres fois il y a des problèmes de vue associés, d’autres fois il y a des problèmes de compréhension, d’autres fois il y a des problèmes de dextérité, de finesse dans le geste, tous ces facteurs là rentrent en ligne de compte pour proposer ou ne pas proposer ces aides techniques. Il y a aussi ; la réticence de parler au travers d’une aide technique. Un problème d’inconnu, des personnes peuvent avoir peur de cet appareil, la famille qui n’adhère pas ou le patient qui se décourage. Il y a également le problème du coût: « ai-je le droit de montrer un appareil de ce type ? » tant je sais que cela sera difficile financièrement d’obtenir cet appareil là, aucune prise en charge à ma connaissance à ce jour. Il y a les assurances, les mutuelles, oui, mais c’est un parcours du combattant faisant que les gens se découragent. Et puis, comme tu le sais Gautier l’ergothérapeute, comme le kinésithérapeute est là pour rééduquer, mais comme je te l’ai dit à un moment la rééducation a atteint ses limites ; c’est à ce moment que l’ergothérapeute met sa casquette de ré- adaptateur, il essaie de permettre au patient de faire avec ce qui lui reste. C’est parfois difficile d’accepter, d’accepter que la rééducation est terminée. Il y aura des progrès, ils seront plus rares. Le handicap s’installe, se verra, il faut avoir fait un travail énorme sur soi. Tu l’as fait aujourd’hui, tu nous prouves qu’on est capable de vivre avec un  handicap au quotidien, de faire de études et de devenir docteur (rires) ! Docteur Gautier, ça c’est une volonté que tout le monde n’a pas ! Le deuil que nous essayons de faire avec le patient, que le patient doit faire lui-même, c’est quelque chose de très compliqué, de très complexe. Il faut se faire aider par ses proches. Gautier tu as eu une chance inouïe d’être né dans la famille dans laquelle tu es né. Je tire mon chapeau à tes parents, à ta sœur et à ton petit frère parce que c’est grâce à ta volonté, grâce à tes proches que tu es là aujourd’hui comme tu es, t’exprimant face à moi. La volonté du patient est importante, c’est notre rôle en tant que rééducateur : sensibiliser le patient en le faisant adhérer à notre projet. Pour revenir à ta question : « est-ce devenu aujourd’hui une proposition fréquente ?» Pas si fréquente que ça, pour les raisons que je t’ai exposées. Dès que c’est possible, c’est quelque chose que je propose. Les jeunes ergothérapeutes dont je m’occupe n’ont pas encore ce réflexe, je pense parce que ça demande beaucoup de temps. Au jour d’aujourd‘hui, c’est devenu  difficile : on court, on court, on court. Lorsque tu as intégré l’établissement, nous courrions tout autant, mais on prenait peut être plus le temps. Il y a donc également un facteur temps, un facteur économique. Il y a également, je pense, les jeunes ergothérapeutes que j’ai n’ont à mon sens, pas assez bénéficié durant leurs études de la présentation de ce type d’appareil. Pour la simple et bonne raison que ce n’est pas connu de tout le monde. Dans les écoles, ils n’ont pas la chance d’avoir des fournisseurs. Mon rôle est de leur montrer qu’ existent des appareils de communication, d’initier l’équipe rééducatrice. 

  Dans quelle mesure la révolution technologique (ordinateurs, synthétiseurs vocaux, smartphones…etc) a-t-elle, à votre avis, permis une meilleure intégration à la société des personnes ayant des difficultés de communication ?  

C’est une question vaste, l’exemple type c’est toi, c'est-à-dire que grâce à ces appareils de nouvelles technologies, les patients ont révolutionné l’ état d’esprit des gens. Oui ça permet une meilleure intégration des personnes, à condition que celui qui est en face accepte un regard différent, accepte que l’autre aie un moyen de communication différent, accepte qu’il passe par une aide technique. Je pense que ça fait peur aux gens, pour la simple raison que c’ est inconnue. Les médias devraient en parler beaucoup plus, tu le montres toi que c’est possible. A une condition, que les gens acceptent la différence. On voit toujours des regards pas possibles quand des personnes marchent ou parlent de façons différentes. Je peux comprendre que ce soit difficile pour n’importe quelle personne, car ce sont des personnes qui n’ont pas connu le handicap, qui ne peuvent pas s’imaginer que l’on peut vivre normalement avec l’utilisation d’un appareil pour parler. Parce que ce sont des personnes, je dirais, qui n’ont pas eu la chance de côtoyer des personnes qui  ont des difficultés, de voir que grâce à leur niaque ils veulent exister comme tout le monde. Il faut que les gens partagent, se rencontrent.

Pourtant moi on m’écoute sans problème. Je ne comprends pas où est l’ennui ?

Je pense que tout le monde autour de toi t’écoute sans problème parce que tu sais leur parler, parler avec un appareil c’est parler.

Non mais même lorsque je me rends en ville, que je parle avec des inconnus, on prend le temps de m’écouter.

Non mais parce que tu as une façon d’aborder les gens, avec ta frimousse on a envie de dialoguer avec toi (rires). Tu sais t’exprimer, faire passer les messages au travers de ton appareil. Tu sais aborder les gens. C’est comme quelqu’un qui n’a pas d’appareil faisant la gueule, tu n’as pas envie de parler avec lui. Quelqu’un qui arrive avec le sourire, juste en te voyant les gens ont envie de te parler, car tu sais faire passer le message ! Hé oui, c’est la classe !

Monsieur Cluzel, je vous remercie de m’avoir accordé cet entretien qui sera très enrichissant pour mon travail de recherche.

Gautier c’était avec plaisir, j’espère que tu pourras exploiter ce que je t’ai dit.  

 

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